Tristan et Isolde, la danse, et moi, et moi, et moi…

GTG/Grégory Batardon

Ce jour-là (c’était un mardi), j’avais eu une journée ha-ra-ssante. Bon, j’exagère un peu en espérant que vous allez me plaindre mais j’étais quand même très fatigué. Je m’étais levé à l’aube (pour moi 6 heures) afin d’assurer un rendez-vous professionnel important et de retour chez moi, j’avais vaqué à mes occupations diverses et variées (enfin variées, ça dépend des jours…). Cerise sur le gâteau de la journée marathon d’un rédacteur soucieux de se cultiver, je devais me rendre à un spectacle de danse contemporaine. Tristan et Isolde plus exactement, sur une musique de Richard Wagner dansé par le Grand Théâtre de Genève. Le tout chorégraphié par Joëlle Bouvier dont je n’avais jamais entendu parler (honte à moi). J’habite à 20 minutes du théâtre et j’ai pour principe de limiter mes déplacements en voiture. Je me rendrai donc à cette représentation à bicyclette.

Alors maintenant, je résume :

  • Tristant et Isolde, une histoire un peu dark,
  • Richard Wagner, un compositeur à l’inspiration pas si légère que ça,
  • un trajet en vélo alors que je suis é-pui-sé…

Tous ces éléments mis bout à bout constituent-ils les ingrédients d’une soirée réjouissante ? Je finissais par en douter quand j’enfourchai mon cycle Peugeot datant de Mathusalem.

Et là premier miracle de la soirée. C’est fou ce que le vélo peut me réussir ! Dès que  je pédale, j’ai l’impression que je brûle les pesanteurs de ma petite vie autant que les calories. Je devrais peut-être m’offrir un triporteur « spécial rédacteur » qui me permettrait de rédiger – le cœur léger – sur toutes les pistes cyclables de France et de Navarre. Est-ce là un sillon à creuser ? En attendant cette éventualité, ce fameux mardi, arrivé devant le théâtre, je me mêle très vite à la sympathique faune des gens de culture, pas agressive pour deux sous mais consciente d’appartenir au peuple élu peinant parfois à montrer son enthousiasme à la fin des spectacles (je grossis un peu le trait, histoire de vous faire sourire mais vous voyez certainement ce que je veux dire…). Objectivement, l’ambiance ne serait pas la même à l’entrée du Hellfest ou des « vieilles charrues »

Et pourtant… Une fois confortablement installée devant cette magnifique scène encore désertée, je ressens une excitation presque identique à celle qui pourrait précéder le début d’un concert de rock. Il faut dire que par le passé, j’ai souvent eu l’occasion d’assister à des spectacles de danse contemporaine et j’en suis toujours sorti enthousiasmé. Maurice Béjart, Carolyn Carlson, Pina Bausch, Angelin Preljocaj… Tous ces noms et quelques autres ont su éveiller ma curiosité même si je ne suis pas un spécialiste du genre. Loin sans faut.

GTG/Grégory Batardon

De toute façon, la danse contemporaine en particulier, me semble bien plus accessible qu’on ne l’imagine. Selon moi, on peut l’apprécier dans la spontanéité et sans quitter le registre du premier degré. Est-ce honteux ? Je comprends la nécessité d’inscrire une chorégraphie dans la trame d’un propos, d’une intention, d’une histoire. Sans fil rouge, rien ne serait certainement possible et l’ensemble des représentations tourneraient au match d’impro ! Mais en tant que spectateur, le seul spectacle créé par le mouvement sophistiqué de ces corps incroyablement souples et expressifs me suffit amplement. Avec Tristan et Isolde, en caricaturant un peu, on aborde le thème de l’amour impossible (du coup ce pitch m’interpelle plutôt !).

GTG/Grégory Batardon

Et lorsqu’une partie de la troupe allongée simule les flots ondulants d’une mer hostile, je crois atteindre le septième ciel sans bouger de mon siège. Quelle grâce, quelle beauté… Et aussi certainement quel travail ! Dans un monde qui a tout sacrifié au matérialisme, les danseuses et les danseurs semblent vivre sur un îlot qui aurait su préserver l’essentiel, l’éclat de la simplicité et de l’épure, l’impact incroyable du don de soi. En toute générosité. Armés uniquement de la belle énergie générée par leurs muscles de fins athlètes, toutes et tous dégagent une force incroyable. Madeline Wong, héroïne forte et fragile à la fois, illumine à elle seule la représentation de tous les feux de sa présence époustouflante. Le décor, les accessoires et les costumes ? On est loin du strass, des paillettes et des mises en scène pharaoniques mais la magie est bel et bien là. Assurément, la chorégraphe qui viendra saluer le public au milieu de sa troupe à l’issue du spectacle, n’y est certainement pas pour rien.

Et moi dans tout ça ? Ma fatigue s’est envolée comme par enchantement et j’ai brûlé quelques calories supplémentaires en applaudissant à tout rompre celles et ceux qui m’ont tant donné. Et je vais retrouver mon « home sweet home » le coup de pédale bien plus léger. Sans peut-être en avoir vraiment conscience, l’espace d’une représentation, tout ce beau monde débarqué d’une planète lointaine, entrouvre pour vous les portes d’un univers envoûtant et fascinant à la fois. Inaccessible le reste du temps à nous autres pauvres mortels. Là, réside aussi selon moi la beauté de la danse.

GTG/Grégory Batardon