Pour ou contre l’open space ? Un rédacteur se met à table…

L’open space, tel qu’en lui-même, un espace épuré à l’extrême…

« Un peu moins d’open spaces et beaucoup plus d’espace vital ! »…
Le cocktail le plus énergisant pour les entreprises dans les années qui viennent ?

Régulièrement, la presse se penche sur le sujet ô combien sensible des « open spaces », ces espaces ouverts dans lesquels cohabitent très souvent les salariés au sein de leur entreprise. Selon les chiffres avancés par Stratégies dans un article intitulé « Et si on faisait bureau à part ? », 80 % d’entre eux travaille dans ce type de configuration. Avec plus ou moins de bonheur semble-t-il. Rédacteur free-lance, je suis évidemment plutôt « espace fermé » : entendez par là que ma vie professionnelle se déroule généralement dans le périmètre confiné de mon appartement. Espace ouvert, espace fermé… Spontanément, la première appellation tend à évoquer la liberté, l’échange, la convivialité. Quant à la deuxième (pauvres rédactrices et rédacteurs !), elle semble nous conduire directement vers les rives sombres du repli sur soi, de la solitude et de la désocialisation. Heureusement, il faut toujours se méfier des apparences, rien n’étant jamais tout blanc ou tout noir. Et l’open space, même s’il bénéficie d’une dénomination très flatteuse, ne donne pas entière satisfaction à ses usagers. Loin s’en faut. Afin de partager quelques réflexions sur ce sujet ô combien d’actualité, j’ai décidé de m’interviewer. À l’heure où l’humanité s’adonne aux selfies avec frénésie, subissant sans broncher la dictature de l’image, je me suis dit qu’il était temps de porter l’auto-interview en tête d’affiche du concert communicationnel universel. Et peut-être ferai-je des émules ?

Que révèle l’expérience évoquée par Stratégies et effectuée par Stephan Turban et Ethan Bernstein, tous deux professeurs à la Harvard Bussiness School ?

Enzo Clémot : tout d’abord, il faut préciser que cette expérience a certainement été motivée par une constatation générale : partout la productivité baisse ou stagne dans les entreprises. Et bien sûr, en écho aux difficultés que rencontre l’économie, on veut savoir pourquoi. Dans ce contexte, ces chercheurs ont pu analyser le comportement de 52 employés avant et après leur installation en open space grâce à des capteurs, des enregistreurs de voix et des logiciels d’analyse de messagerie. Et les résultats sont pour le moins surprenants :

  • – 73 % d’interactions dans les open spaces,
  • + 67% de courriels,
  • + 75 % de messages instantanés.

Le constat est édifiant : avec un open space, la communication s’enraye alors que l’on abolit toutes les barrières qui pourraient la freiner… Qu’en pensez-vous ?

Enzo Clémot : oui, on constate que les choses sont moins simples qu’il n’y paraît

Le bureau d’un rédacteur, entre rigueur et lâcher prise… 😉

au premier abord ! Et cette étude démontre aussi que les individus ont autant besoin d’intimité que d’échanges et d’interactions avec les autres. Alors, comme le souligne si justement le journaliste de Stratégies, dans un open space, ils ont tendance à construire des murs virtuels entre eux pour pouvoir s’isoler. Afin de se préserver. Les plus farouches opposants à ce type d’organisation affirment même que l’open space entraîne une déconcentration chronique des individus sans cesse interrompus par l’agitation ambiante. À noter qu’il faudra 25 minutes à un salarié pour se recentrer à nouveau sur l’objet de sa mission après une interruption volontaire ou involontaire de celle-ci.

Vous, en comparaison, dans l’intimité de votre bureau-appartement, vous bénéficiez donc des conditions de travail idéales ?

Enzo Clémot : là encore, il faut se garder de tirer des conclusions hâtives car le travail à domicile génère aussi des nuisances ! Mais je sais très bien que le travail en open space nuirait gravement à la qualité de mes écrits. En fait, j’ai toujours constaté que ma relative solitude et le silence favorisaient la concentration, la totale implication dans les dossiers que je gère. Comme je fais en sorte de limiter au maximum les interruptions extérieures, je progresse dans mon travail avec plus de rapidité et de fluidité. Sauf si l’inspiration vient à manquer mais ça c’est une autre histoire ! Le calme et le silence favorisent également la réflexion. Un peu à l’écart, on peut donner libre cours à ses pensées. Même s’abandonner à une certaine rêverie sans craindre le regard d’autrui. De ces « intermèdes » dont est exclue la productivité naîtront la pertinence et la créativité du travail accompli. Et donc sa valeur ajoutée, j’en suis convaincu. Et je ne suis pas le seul à l’affirmer. Goethe l’avait constaté bien avant moi en affirmant : « Le talent se développe dans l’intimité ». Mais évidemment la notion d’intimité reste une chose qui peut s’avérer secondaire quand on souhaite assurer la rentabilité d’une entreprise. À cet égard, le journaliste de Stratégies met l’accent sur un avantage économique indiscutable de l’open space : il permet d’installer jusqu’à cinq fois plus de personnes que dans une configuration classique comportant des bureaux cloisonnés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes ! Dans un souci de compétitivité, l’open space n’est pas près de disparaître. Heureusement, afin d’améliorer la qualité de vie au travail, des innovations et des alternatives au fonctionnement habituel des espaces ouverts voient le jour.

L’open space tel que je l’aime !

Quelles suggestions un humble rédacteur pourrait-il faire afin de redonner à ses amis salariés goût au travail dans un espace ouvert, sachant que lui préfère plutôt les espaces fermés ?

Enzo Clémot : en fait, si l’on en croit les nombreux spécialistes cités dans l’article, ce n’est pas tant les open spaces qui sont à remettre en cause que la manière dont on les gère. En 2008, un livre a opportunément titré : l’Open space m’a tuer en référence à une certaine actualité judiciaire. Il ne faut rien exagérer. Et pour éviter certains écueils du passé, la société de conseil MKthink de San Francisco préconise notamment aux entreprises de rythmer la journée des salariés par quatre séquences distinctes situées dans des lieux différents dont l’open space. Avec à leur programme : sociabilisation, concentration, collaboration et information. De quoi briser la routine et atténuer la lourdeur d’une certaine promiscuité subie. Quant à moi, en me basant sur de multiples études qui mettent toutes en évidence la plus grande productivité des individus isolés par rapport à ceux qui opèrent en groupe, je sortirais ma baguette magique et je systématiserais la pratique du télétravail. Même si je n’aime pas beaucoup ce terme qui me paraît assez réducteur. Basé sur la responsabilisation des salariés alors que le groupe a tendance à diluer la responsabilité sur l’ensemble des individus, le télétravail possède de multiples vertus. En tant qu’indépendant, j’ai moi-même collaboré très longtemps avec une entreprise dans un type de fonctionnement un peu similaire. L’ère digitale et les nombreux outils de communication qu’elle met à notre disposition sont d’ailleurs les meilleurs alliés de toutes celles et ceux qui travaillent à distance. Je profitais pleinement de la dynamique de groupe, de l’émulation que peut générer une entreprise et je disposais d’un cadre de travail en phase avec les contraintes de mon activité. Un partenariat qui s’est révélé gagnant-gagnant tant que la société a reconnu mon engagement particulier vis-à-vis d’elle.
Si ce type de fonctionnement se révèle efficace avec un indépendant, pourquoi ne pourrait-il pas s’appliquer plus systématiquement aux salariés ? Avec l’entreprise et ses espaces dédiés, ses open spaces pour fédérer les énergies et réunir les équipes autant qu’il est besoin. Et le travail dans l’intimité effectué en pleine concentration pour atteindre les objectifs définis en commun. Utopie que tout cela ? L’organisme de sécurité sociale belge, par exemple, a fait le pari du télétravail il y a quelques années et aux dernières nouvelles, il s’en porte très bien ! Effet bénéfique supplémentaire de cette organisation : en limitant les déplacements, on limite forcément la pollution, les embouteillages, le stress de tout un chacun… Et on augmente le champ des possibles des entreprises portées par des salariés qui peuvent ainsi lui restituer une créativité et énergie positive nouvelles dont elles profitent pleinement. Ajoutons à cela que le télétravail généralisé diminue considérablement les sommes à investir dans les locaux. Un autre avantage auquel les chefs d’entreprise pourraient se montrer sensibles par les temps qui courent.

À lire : « Et si on faisait bureau à part ? » Stratégies 1961 -13 septembre 2018