Pour la Deutsche Bahn (la SNCF allemande), l’agence Ogilvy Germany a signé une campagne de publicité plutôt réussie, originale, aux visuels efficaces et percutants. Le principe ? Les concepteurs de ce judicieux projet ont mis en évidence des analogies troublantes entre des lieux situés dans des pays lointains desservis par l’avion et des destinations allemandes accessibles en train. En soulignant les écarts de prix pour y accéder. Le constat s’avère bien sûr sans appel : le chemin de fer gagne haut la main la bataille des tarifs. Sans parler de ses performances en matière environnementale passée sous silence dans cette communication. Madame Pub, après nous avoir très longtemps incités à jouer les globe-trotters du dimanche, nous invite donc désormais à rester au bercail. Notre merveilleuse machine à rêves découvrirait-elle sur le tard le charme discret de la décroissance ?

Campagne Ogilvy Germany : un train d’avance ?
Formidable publicité ! Pendant des années, une horde sauvage d’agences internationales a tout mis en œuvre afin que nous apprenions à voyager loin et cher pour ne pas mourir idiot. Et puis maintenant que le commun des mortels
a assimilé le message, sautant comme un cabri de continent en continent, notre girouette bien aimée, vouant un culte immodéré à l’air du temps, nous convie au rétropédalage. « Mais vous n’avez rien compris mes chéris ! La vraie beauté se savoure à deux arrêts ferroviaires de chez vous… » Et nous autres, pauvres consommateurs toujours sensiblement déstabilisés par les volte-face de cette intelligence supérieure, nous applaudissons quand même des deux mains. Regrettant un peu toutefois que notre voyante extra-lucide préférée n’ait pas effectué ce constat plus tôt. Entre nous, cela aurait bien arrangé nos affaires. Et surtout celles du climat. Qu’elle a sacrément contribué à malmener, la vilaine. Avec son goût immodéré pour la promotion des puissants 4×4 et autres offres immanquables sur les week-ends de rêve à New York. Durant lesquels soit dit en passant, on n’a que le temps de découvrir les effets du jet lag. Privilège jadis réservé aux riches and famous. Vous me direz : toucher du doigt les problèmes quotidiens de Jennifer Lopez ou Brad Pitt, c’est au moins ça de gagné. Et d’ailleurs, que voulez-vous, le monde actuel est ainsi fait ! Ne tournant plus très rond et pétri de contradictions. À l’image de la pub. Il est d’ailleurs toujours prêt à lui pardonner l’impardonnable. Pour peu que le message plaise au plus grand nombre. Et dans ce domaine, elle s’y entend, la réclame. La plus rusée des magiciennes quand il s’agit de se refaire une virginité. Lavant toujours plus blanc que blanc. Dénichant aussi sans cesse l’endroit secret où se cache la dernière audience
porteuse. Oreille attentive prompte à croire ce qui lui est susurré parfois insidieusement. Et puis, c’est la loi implacable du marché : il faut VENDRE. À tout prix. Des jets privés ou des allers-retours pour Trifouillis-les-Oies. Même si, dans le cas de notre campagne à la gloire des chemins de fer allemands, c’est au prix d’une pilule peut-être amère à avaler. Pour tout publicitaire qui se respecte s’entend. Car en creux, on peut en effet lire dans cet hymne au transport ferroviaire, une apologie de la décroissance. Certainement l’ennemie jurée du côté de l’AACC, l’Association des Agences-Conseil en Communication.

Avec le train, le bonheur se jette opportunément à vos pieds.
« Oui, l’avion nous transporte à un train d’enfer ! »
Et nous ? Pour une fois que la formidable chambre d’échos des activités du CAC 40 prend fait et cause pour le plus faible, nous n’allons pas nous plaindre. Car le constat est sans appel. Aux yeux des consommateurs actuels, le train n’est plus glamour, sexy, funny. Et il ne représente que 2 % des déplacements liés au tourisme international. Il lui reste donc beaucoup de chemin à parcourir s’il veut détrôner l’avion sur ce terrain. Eh oui ! À l’heure où ce marché mondial très lucratif explose avec plus de 1, 4 milliards de voyageurs recensés en 2018, près de six sur 10 arrivent à destination par avion.

La suprématie du géant des airs ?…
« Mais non, le train n’a pas dit son dernier mot… »
Pourtant d’un point de vue strictement environnemental, c’est peu dire que le train tient la dragée haute aux géants des airs. À chaque trajet, ceux-ci émettent en moyenne 1500 fois plus de dioxyde de carbone que le chemin de fer. Dans le sillage du CO2, l’avion répand également de l’ozone, un gaz à effet de serre, et des cirrus (nuages de la haute atmosphère) à l’effet réchauffant. Pouah ! « N’en jetez plus, la cour est pleine » comme disait ma grand-mère. Une femme particulièrement avisée.
Et puis le train, n’en déplaise à mes contemporains, c’est apaisant, sans trous d’air et joyeusement romantique…
Un lieu de rencontre privilégié souvent mis en scène par le cinéma. De l’Orient-Express au Paris-Marseille en passant par le Miami-Los Angeles et le Vesoul-Bourges, combien d’idylles cinématographiques sont-elles nées sur les rails ? Notre puissant concurrent, pour le coup, fait triste de mine ! À part « Y a-t-il un pilote dans l’avion ? » ou des films-catastrophes profondément anxiogènes ; qu’a-t-il à nous offrir qui serait susceptible de nous élever ? Pas grand-chose à vrai dire. D’accord, les géants des airs restent rapides, pratiques, performants. Mais ils ne sont pas plus séduisants qu’une poêle à frire. D’un point de vue émotionnel, j’entends. Tenez-vous-le pour dit.

« T’as voulu voir Nouillorc et on a vu Losse-en-Gelaisse »
Train ou avion… la publicité sort toujours son train d’atterrissage et rebondit inexorablement.
Mais revenons à notre campagne… Et nous également, faisons parler notre boule de cristal. Sur le modèle des locavores, en Allemagne, en France et partout ailleurs, encouragé par la déesse du marketing, gageons que le train va finir par séduire tous les locatouristes en herbe qui cherchent à découvrir les pépites patrimoniales rongeant leur frein à 161 kilomètres à la ronde (distance conseillée pour le tourisme durable). Depuis des années qu’on leur préférait la Muraille de Chine ou les chutes du Niagara, l’écluse de la rivière du coin ou le belvédère avec vue imprenable sur les dix clochers du canton, tiennent peut-être enfin leur revanche ! On ne serait pas étonné d’ailleurs que dans le sillage des Biocoop, de nouvelles agences de voyages fleurissent bientôt ici et là. Proposant des séjours à la ferme en formule « All inclusive ». Avec lait fraîchement sorti du pis de la vache à volonté et rutabagas à tous les repas. Car oui, il faudra vous y faire : en dégustant sushi et autres tacos, purs produits de la mondialisation, vous avez sans doute un train de retard. Et la prochaine campagne signée Publicis aura certainement à cœur de vous le rappeler. Vantant sans doute les mérites du bicarbonate de soude alimentaire estampillé Procter & Gamble pour confectionner les bons petits plats qui font le bonheur des familles heureuses.

Au train où vont les choses.
Crédit photos :
- (1) Arne Koehler,
- (2) Richard W.M. Jones,
- (3) Jonathan Borba pour Unsplash,
- (4) JK pour Unsplash.