« Ils vous livrent le journal ! »

Nicole et Raouf : unis même dans le travail. (I)

Ce sont des travailleurs de l’ombre mais ils contribuent activement à éclairer les lecteurs (majoritairement matinaux) sur l’état du monde ou l’actualité de leur environnement proche. Leur quartier, leur ville, leur département, leur région… Nicole et Raouf, mariés pour le meilleur, forment un réjouissant duo de porteurs de journaux. Soucieux d’exercer leur métier avec rigueur, ils ont aussi à cœur de tisser des liens durables avec les abonnés. Conscients de représenter pour les plus isolés notamment, une petite fenêtre ouverte sur l’extérieur, un pied de nez à l’indifférence. Armés de leur belle énergie et de leur bonne humeur communicative, ils apportent également la preuve éclatante que les deux côtés de la Méditerranée ont tout pour vivre heureux ensemble. Rencontre.

• Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le portage de journaux ?

Nicole
C’est un service rendu par les titres de presse… Il s’agit de déposer dans la boîte aux lettres des abonnés – chaque matin dans le cas d’un quotidien – le dernier numéro paru. Avec un impératif non négligeable : les clients doivent être livrés avant 7 h 30 la semaine et 8 h 30 le dimanche. Bien entendu, il faut se lever tôt. 2 heures 30 en ce qui nous concerne. De façon à arriver au dépôt à 3 heures pour prendre possession de nos exemplaires. Plus de 200 dans le cas de notre tournée. Comme nous effectuons le travail en voiture, nous passons notre temps à monter et descendre du véhicule : c’est un métier très physique ! Et qui demande beaucoup de rigueur, d’esprit d’initiative, d’attention aussi. En effet, nous distribuons deux quotidiens différents en même temps, il y a toujours le risque de les confondre. Et donc de faire des mécontents. Pour compliquer encore un peu plus les choses, depuis deux ou trois ans, nous distribuons également d’autres publications : Elle, Paris-Match, Avantages, Marie-Claire, entre autres. Nous, nous utilisons notre voiture, mais dans le centre des villes certains interviennent en scooter, en mobylette et parfois en vélo…

Raouf
Oui, c’est vrai, c’est très physique ! D’ailleurs mon cardiologue m’a bien recommandé de ne pas raccrocher les gants. Pour lui, le portage est bénéfique à ma santé. Eh oui, grâce à mon travail, je marche 11 kilomètres par jour. On fait du sport tout en étant payé !

Nicole
On fait même beaucoup de sport parce qu’on travaille 6 jours sur 7. Certains diront que c’est beaucoup, mais ce n’est rien en comparaison du rythme de travail qui était le nôtre jusqu’à il y a moins de trois mois encore. Comme nous avions le statut de vendeur colporteur de presse (VCP travailleur indépendant N.D.L.R), nous étions contraints de travailler tous les jours. Sauf le jour de Noël, le jour de l’An et le 1er mai… Heureusement, ce statut a été supprimé et les sociétés de portage, dorénavant, embauchent les porteurs en tant que salariés. Désormais salariés nous-mêmes, nous avons donc droit à un jour de congé.

« Mon journal dans ma boîte aux lettre ? Un service inestimable ! » (II)

• Depuis combien de temps exercez-vous cette activité ? Par quel hasard de la vie avez-vous été amenés à opter pour elle ?

Raouf
Je travaille dans ce domaine depuis 12 ans. Depuis que je suis à la retraite en fait… Je ne voulais pas quitter complètement la vie active. Je dois préciser qu’avant je dirigeais une discothèque et que je n’envisageais pas une seconde de travailler le jour ! Une de mes filles m’a parlé du portage de journaux et puis voilà…

Nicole
Je travaillais dans un cabinet d’experts comptables et je suis à la retraite depuis 2 ans. Quand Raouf a dû se faire poser une prothèse du genou, il fallait absolument trouver quelqu’un pour le remplacer sinon il aurait perdu son job… Sans grand enthousiasme au départ, j’ai fini par me laisser convaincre.

Le portage concerne les quotidiens et les magazines aussi. (III)

• Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ? Les inconvénients les plus significatifs du portage ?

Raouf
Il faut apprendre à se lever très tôt le matin ! Et quand on est VCP, malade ou pas malade, on doit faire le boulot…

Nicole
On a un rythme de vie un peu particulier même si on finit par s’y habituer. On est un peu en décalage… Quand on rentre vers 6/7 heures, on prend notre petit-déjeuner. Puis soit on regarde la télé ou on on dort jusqu’à 14 heures. Moi, le soir je ne me couche jamais avant 23 heures…

Les journaux contribuent à démasquer les hommes politiques. (IV)

• Quels sont les avantages et les atouts ?

Raouf
Pour les gens qui sont à la retraite comme nous, ça nous fait bouger ! Et ça met aussi du beurre dans les épinards…

Nicole
Même si on trouve qu’on n’est jamais assez bien payés, en comparaison de quelqu’un qui travaille toute la journée, il ne faut pas se plaindre ! Et en plus, on est totalement indépendant. On gère notre travail comme on veut. Pourvu qu’il soit bien fait.

La presse quotidienne régionale : l’un des fers de lance du portage. (V)

• Recommanderiez-vous facilement ce type d’activité à d’autres personnes ?

Nicole
À des personnes qui rencontrent des difficultés certainement ! Tout en sachant qu’on doit être courageux, endurant. En règle générale, les jeunes restent rarement… Dans ce secteur, la population des retraités domine ! Il faut savoir prendre des responsabilités, réagir à des situations un peu compliquées et les plus jeunes manquent parfois de maturité.

Raouf
La nuit, on est un peu les auxiliaires des pompiers ou de la police puisqu’on est les seuls dans les rues. Si on voit quelque chose d’anormal, on le signale. On peut aussi venir en aide aux personnes en difficulté. Un jour vers 4 heures, j’ai vu un jogger matinal s’écrouler. Bien sûr, je me suis précipité à son secours, je me souviens encore, il a prononcé ces paroles : « S’il vous plaît monsieur… ». J’ai immédiatement appelé les pompiers puis comme je connais le rudiment des gestes secouristes, je lui ai fait un massage cardiaque en suivant les directives du docteur que j’avais au bout du fil : « Quand je vous dis 1, 2, 3, 4, vous appuyez sur le torse du patient, quand je vous dis relâchez, vous relâchez… » Hélas, lorsque les secours sont arrivés, ils ont tenté l’impossible, mais ils n’ont rien pu faire de plus… L’homme est décédé. Et moi, je me suis effondré. Désolé de n’avoir pas pu le sauver. Triste consolation, j’ai quand même pu dire à sa famille que ce monsieur n’était pas mort seul, qu’il était mort dans mes bras et qu’il m’avait parlé. Bien entendu, retenu par le procureur qui souhaitait me poser des questions, j’ai terminé ma tournée en retard. Essuyant les remarques de quelques grincheux. Qui m’ont félicité le lendemain après avoir lu l’article consacré à ce drame dans le journal…

• Il y a des gens un peu « grincheux » parmi vos clients ?

Raouf
Un collègue porteur nous a raconté une anecdote significative : un abonné plutôt âgé l’attendait un matin et l’a tout d’abord remercié pour sa ponctualité mais lui a aussi également demandé de faire en sorte qu’à l’avenir son journal tombe à plat dans sa boîte aux lettres… Un jour, moi, j’étais en retard. Le journal n’avait pas été imprimé dans les délais et un de mes clients m’a obligé à rentrer chez lui, il m’a montré la table dressée en me disant : « Mon café est froid ; je ne conçois pas de prendre mon petit-déjeuner sans mon journal à côté de moi ! Je vous attends depuis 6 heures… » Mais tout le monde n’est pas comme ça ! On nous offre souvent des pots de miel, des pots de confitures, des fruits, des ballots de confiserie…

Nicole
Pendant le confinement, pour certains abonnés, on était le seul lien avec l’extérieur ! Et on a reçu plein de marques d’attention. Ils nous laissaient des petits mots d’encouragement ainsi qu’au facteur et aux éboueurs, d’autres nous ont offert des chocolats, d’autres encore nous ont glissé des billets de 10, 20 euros… Ils ont tous apprécié que l’on assure notre service dans cette période si compliquée. De toute façon, en règle générale, on entretient de très bonnes relations avec la plupart. Il y a quelques jours, une dame nous a même invités à boire un café après notre tournée.

Raouf
Mieux on sert les gens, plus on est récompensés ! À la fin de l’année, on part visiter tous nos clients pour leur présenter nos vœux et leur proposer un calendrier. Eh bien nous récoltons l’équivalent d’un salaire entier ! Il faut dire que pour les personnes âgées notamment, la lecture du journal, c’est sacré. Surtout la rubrique nécrologique…

Nicole
De notre côté, quand l’une de ces personnes perd un proche, on glisse une carte de condoléances dans la boîte à lettres. Nos clients, on ne les considère pas comme des anonymes.

Le journal : une fenêtre sur le monde. (VI)

• Dernière question, à l’heure d’Internet, croyez-vous que le portage de journaux puisse prétendre à un grand avenir ?

Nicole
Oui ! D’ailleurs la presse en général préfère faire appel à des porteurs plutôt qu’à la Poste. Le portage reste beaucoup plus compétitif d’un point de vue du tarif et les journaux sont distribués très tôt. Ce qui est impossible pour le facteur. Et comme vous l’avez compris, on offre un service personnalisé. On crée aussi un lien auquel les plus fragiles, les plus isolés sont sensibles.

La presse pour s’émerveiller du sourire énigmatique de la Joconde. (VII)

Photographies

  • I et II : Enzo Clémot
  • III : Lisa Fotios pour Pexels
  • IV : Charles Deluvio pour Unsplash
  • V : Joanes Andueza pour Unsplash
  • VI : Charles Deluvio pour Unsplash
  • VII : Atared Althaqeb pour Unsplash