
Quand Mademoiselle chante le blues, le public en redemande. Quand elle prête sa voix à ce que l’on nomme généralement les musiques du monde, elle suscite l’approbation des spécialistes. Et quand elle s’empare de la langue de Molière, elle sait la faire swinguer aussi bien que son illustre collègue, Claude Nougaro. Avec les nombreux atouts que contient son jeu de scène, elle aurait certainement pu rafler la mise dans la Capitale. Préférant souvent l’ombre à la lumière, elle a délibérément choisi de vivre de son art en province, loin des faux-semblants du show-business. Décision qui ne comporte pas que des avantages. Heureusement, cette chanteuse de charme à la voix puissante mais délicate et sensuelle à la fois, possède plus d’une corde à son bel organe. Ce qui aide pour affronter les revers du destin. Rencontre enchantée avec une diva d’un nouveau genre, pétrie d’humour et d’humanité. Point d’orgue de ce moment de grâce : la dégustation partagée d’un délicieux plat de linguine.
Comment tout a commencé pour toi ?
J’ai été élevée dans le nord des Deux-Sèvres par mes grands-parents. Comme mes parents étaient très occupés – ils étaient boulangers – et qu’ils avaient beaucoup d’enfants, six avec moi, cela arrangeait tout le monde. Au dire de tous, j’étais assez mignonne mais surtout, j’étais une petite fille studieuse et qui réussissait très bien à l’école. Ce qui plaisait beaucoup à ma grand-mère qui aurait voulu faire des études. Elle était couturière et mon grand-père maréchal-ferrant. Lui issu d’une famille de propriétaires terriens. Mémé (qui vit toujours) pas vraiment châtelaine mais logée dans les dépendances d’un château qui a favorisé leur rencontre. Si on n’était pas très riches, on était à l’abri du besoin. Objectivement, j’ai eu une enfance plutôt heureuse, entourée d’affection. Et tout était fait pour favoriser mes dons. À ce propos, très tôt, j’ai été capable de déceler la moindre fausse note quand des membres de la fanfare dont faisait partie mon grand-père venaient répéter à la maison ! L’oreille musicale… Bien entendu, petite fille modèle, je fréquentais l’église et je chantais. Le reste du temps, je lisais des contes illustrés – ceux de Charles Perrault en particulier – pendant des heures et des heures. Bien à l’abri dans ma bulle de protection. Le tableau aurait pu être presque parfait s’il n’y avait pas eu un grand-oncle indélicat pour jeter son dévolu sur moi en abusant de mon innocence de gamine… La blessure a été certainement très profonde puisque je n’ai réussi à évoquer cet épisode douloureux de ma vie d’enfant sage que lors de mes cinquante ans. D’ailleurs, malgré l’atmosphère bienveillante qui m’entourait et peut-être à cause de ce lourd secret, j’étais hypersensible et je ne parlais pas beaucoup. Et déjà, l’injustice me rendait dingue ! À l’école, même si j’étais souvent la première de la classe, je prenais toujours parti pour les plus pauvres ou pour celles et ceux qui avaient des difficultés. Et que les instits mettaient parfois de côté. Par la suite, je pense que le chant m’a servi de thérapie pour exprimer toute cette douleur, toute cette violence, toutes ces émotions enfouies en moi !

À quel âge as-tu su que tu voulais devenir chanteuse ?
Comme je l’ai dit, je chantais déjà à l’église. Je jouais même deux trois notes sur l’orgue. À l’instinct. Et j’aimais déjà beaucoup la musique. À quatorze ans, mes grands-parents m’ont offert un orgue électronique. Le curé de ma paroisse, un prêtre ouvrier très bon musicien – autant dire un révolutionnaire pour les bonnes âmes de cette province bien tranquille ! – m’a donné quelques leçons et très vite, je me suis débrouillée. Durant les offices, ce prêtre nous faisait chanter des gospels « à la française » et j’adorais ça. D’ailleurs, toute petite, j’étais déjà très attirée par les chants noirs. Quand j’y repense, c’était quand même étrange vu mon environnement familial plutôt rural mais c’était aussi prémonitoire… À dix-sept ans, je suis partie à Angers faire les Beaux-Arts et je vivais dans un foyer de jeunes filles de bonne famille tenu par des religieuses. Cet endroit possédait une cour intérieure avec tout autour les chambres des pensionnaires. Un jour, la fenêtre était ouverte, et je me suis mise à chanter une chanson de Mannick en m’accompagnant à la guitare. Tout à coup, à la fin du morceau, j’ai été très surprise d’entendre des applaudissements et des filles qui criaient « Une autre ! ». À partir de ce moment-là, je peux dire que ma vie a été intimement liée au chant et à la musique.

Tu rentres aux Beaux-Arts mais cette école n’a qu’un rapport très lointain avec l’univers musical ?
Pas pour moi car le dessin et les arts graphiques ont toujours aussi fait partie de ma vie. Comme l’écriture dans une certaine mesure. Et au contact des étudiants qui m’entouraient, j’ai pu découvrir d’autres musiques plus en rapport avec ma véritable sensibilité. Dans un premier temps, j’ai été choriste d’un groupe : les « Happy drivers » dont le batteur jouait également du blues. Son groupe cherchait une chanteuse et il m’a incitée à passer l’audition. Le jour J, j’étais morte de trac ! Il faut dire que je n’avais jamais chanté de blues de ma vie. Consciencieuse comme je peux l’être, j’avais travaillé les morceaux, je me suis lancée… Et là, il s’est passé un truc génial ! Au sourire des musiciens, j’ai vite compris que l’on était sur la même longueur d’onde. Avec un groupe, quand la fusion se fait et que tout le monde a du plaisir à jouer ensemble, on a gagné. On s’embarque tous dans une espèce de transe et le public adore ça ! Je me souviens encore de notre premier concert : j’avais un costume d’écuyère et mon chéri de l’époque m’avait passé son trench-coat que je portais par-dessus. Effet garanti quand j’ai ôté l’un pour découvrir l’autre ! Un grand moment. Le groupe s’appelait Blue Moon. Pour nous, ça a très vite marché et on enchaînait les spectacles. Moi, j’étais vraiment dans mon élément. D’ailleurs, je pourrais faire miennes les paroles de la chanson de Nino Ferrer : « Je voudrais être noir ! » On reprenait des morceaux de Koko Taylor, d’Etta James, de BB king. On a aussi mis en musique un poème de Victor Hugo dans une version bluesy. Côté technique, on n’était peut-être pas les meilleurs mais on avait du fond, nos interprétations de la profondeur et les spectateurs en redemandaient. Plus tard, j’ai vécu à Paris et j’allais souvent faire le « boeuf » durant les Blue mondays du Baiser salé, un lieu qui accueillait les groupes de blues et de jazz. Là, je jouais régulièrement avec le batteur de Luther Alison et beaucoup d’autres musiciens américains : « Eh ! Come on darling ! » ; ils appréciaient ma façon de chanter et ils m’encourageaient.

Tu pars à Paris, tu fais des concerts, tu t’installes donc définitivement dans la Capitale ?
Euh… Non ! Car j’en ai eu très vite marre de la vie parisienne. Il y a beaucoup de jalousie qui s’exprime autour de toi dès lors que ton talent est un tant soit peu reconnu dans ce métier et je ne le supportais pas vraiment. Avec mon compagnon, on a donc décidé de retourner à Angers. Et là, au pied levé, on nous demande de créer un groupe soul le temps d’une soirée. On a fait ni une ni deux et on a réuni des musiciens, on a répété un répertoire soul, rhythm and blues, repris des chansons de Marvin Gaye, j’ai confectionné les chemises de scène des garçons… Le groupe Emma Zita était né. Encore une fois, le public a très vite suivi. Il faut dire que nous faisions tout pour que ça marche ! On a conçu nous-mêmes une plaquette, un dossier de presse, on démarchait comme des fous, on créait notre répertoire… Et tout s’est enchaîné rapidement. On a commencé par jouer à Nantes puis en Bretagne, au festival « Art Rock » à Saint-Brieuc notamment. On a fait aussi les premières Eurockéennes de Belfort, le Printemps de Bourges… D’ailleurs, à Bourges, on a été élu « Révélation jeune groupe » une année avec comme récompense une grande tournée de 25 dates. On a pu remplir des salles très importantes dans toute la France : à Marseille, au Transbordeur à Lyon… On a également fait le festival de Nyon durant lequel un jeune homme Suisse qui voulait se lancer dans ce métier, nous a signés. Grâce à lui, on s’est produits au festival de Berne, à Lucerne, en Belgique, au Canada… Au total, l’aventure Emma Zita a duré six ans et puis comme beaucoup de groupes, on s’est séparés à cause de certaines divergences de vues. J’ai l’habitude : faire vivre un groupe, c’est parfois compliqué. Avant et après Emma Zita, j’ai participé à des formations de salsa, de jazz… Plus tard, j’ai même failli partir en tournée avec des musiciens de reggae qui trouvait que mon phrasé convenait parfaitement à leur musique ! Il faut dire que dans la vie, je suis un vrai caméléon : je m’adapte à toutes les cultures musicales, à toutes les langues. Mais hélas, j’ai dû décliner cette offre à cause de mes obligations familiales.

par le talentueux Yannick Ardeois.
L’illustration a été créée par la femme de ce dernier, Isabelle. Tout aussi talentueuse.
Emma Zita cartonne, à ce moment-là vous vivez donc de la musique ?
Oui, plutôt bien même ! Et comme on s’était professionnalisés, j’ai pu accéder au statut d’intermittente du spectacle. Pourtant personnellement, j’avais quelques réticences au départ : moi, je ne voulais pas devenir une fonctionnaire de la musique ! J’ai profité de cette période pour donner naissance à mon premier fils : Luis. Et comme Emma Zita ne nous assurait plus de revenus, j’ai fait beaucoup de pubs, des bals, j’ai aussi travaillé à la Fnac… Plus tard, Lucien, mon deuxième fils est arrivé. Même si je les ai élevés pratiquement seule et que parfois je souffrais des mêmes problèmes que les autres personnes dans ma situation, mon niveau de vie restait assez correct. De toute façon, comme je suis une femme plutôt énergique, devant l’adversité, je fais tout pour trouver des solutions positives. En ce moment, avec cette pandémie, tout est très compliqué quand on travaille dans le milieu de la musique, tout est un peu en stand-by… Heureusement, même si mes revenus ont beaucoup baissé, grâce à l’intermittence je vais toucher le chômage quelques mois encore… Et je m’accroche.

On peut donc être artiste, chanteuse et vivre en Province ?
Plus qu’à Paris, dans une ville comme Angers, on se fait assez facilement un réseau d’amis, on rencontre des gens et pour moi c’est important. Même si par ailleurs, je peux me montrer assez solitaire. On me dit souvent que je devrais en faire plus pour gagner en reconnaissance, me faire plus présente à Paris, que je pourrais peut-être acquérir une plus grande notoriété. Moi, je ne suis pas sûre que je le supporterai et d’ailleurs je ne suis pas sûre de le vouloir. Je sais que c’est un peu paradoxal, mais je suis une artiste qui aime plutôt rester en retrait alors que je monte fréquemment sur scène ! La scène, j’aime beaucoup ça quand il y a un enjeu mais j’adore aussi tout le processus créatif qui précède, le travail en studio plus dans l’intimité… Et à l’inverse de beaucoup de chanteuses actuelles, je n’ai jamais voulu être une star. Comme le dit si bien Véronique Sanson, je pense que star, ce n’est pas un métier. Bien sûr, pour vivre, je dois parfois faire des bals et autant vous dire que c’est marrant, c’est enrichissant mais c’est aussi très chiant et très fatigant ! Un bal dure cinq heures quand un concert ne dure qu’une heure et demie. Et chaque participant veut que l’on joue sa chanson préférée. D’ailleurs, je dois très souvent répéter « On n’est pas un juke-box » C’est un peu décourageant mais comme je suis une fausse pessimiste ou une optimiste réaliste – tout le monde le sait autour de moi, j’ai les pieds sur terre – je me dis que mon parcours ressemblera peut-être à celui de Cesária Évora ou à celui de Calypso Rose qui ont pu donner le meilleur d’elles-mêmes tard dans leurs vies. De toute façon, il n’y a rien à faire, c’est dans mon tempérament : j’aime croire que tout reste possible !

Parlons d’Estrella, la belle aventure musicale que tu partages désormais avec Jocelyn Riobé entre autres ?
Moi, j’ai besoin d’entretenir des rapports vrais avec les musiciens quand je travaille avec eux, que l’on ait des affinités… Humainement, avec Jocelyn, on se comprend et donc tout est plus facile. Même si ses chansons sont parfois compliquées à maîtriser tellement elles sont riches musicalement ! Et dans le groupe il y a plein d’autres personnalités intéressantes : Annabelle Dronne, Bachir Rouimi, Samuel Delafuy, Stéphane Cozic, notre bassiste… Estrella va bientôt enregistrer un nouveau morceau qui va faire l’objet d’un clip. Vous pourrez en juger par vous-même.

Photographies par ordre chronologique :
- 1 et 2 : Annabelle Dronne
- 3, 4, et 5 : non créditées
- 6 : Jo Pinture
- 7, 8 et 9 : Annabelle Dronne.
- Découvrir La Pluie, titre emblématique du groupe Estrella dont Claudie Amirault est la chanteuse. Clip réalisé par le talentueux François Lizé :
- Facebook d’Estrella ICI
- Découvrir le clip de Lucky swing, titre emblématique du groupe Emma Zita dont Claudie Amirault était la chanteuse :