« Don’t cause franglais anymore, please ! »

Celles et ceux qui me connaissent le savent, dans ma vie de rédacteur, deux outils tiennent une place particulièrement importante : mon ordinateur et mon vélo. Grâce à ce dernier en particulier, je chemine par monts et par vaux, humant avec avidité l’air du temps afin de nourrir ma réflexion. Tenez par exemple l’autre jour… De retour d’une longue balade dédiée à l’observation des us et coutumes de mes contemporains, tenaillé par la faim, je pédalais avec empressement quand surgit sur ma gauche un véhicule de livraison rutilant, arborant en lettres capitales le nom d’une enseigne qui m’était jusque là inconnue : HARMONIE MÉDICAL SERVICE. Et là mon mauvais esprit n’a fait ni une ni deux : « En voilà encore qui nous servent la soupe indigeste qui consiste à mélanger des ingrédients anglais et français pour rattraper le train de la modernité toujours plus goûteuse et flatteuse quand elle est cuisinée à la sauce américaine » Car bien entendu, vous l’aurez noté comme moi, le français aurait voulu que l’on écrive Harmonie service médical.

Renseignements pris, cette enseigne se présente comme un fournisseur de matériel médical et chirurgical. Quand on connaît la réputation de certains pays anglo-saxons en matière de soins à la personne (suivez mon regard), on peut se demander quelle mouche a piqué celle ou celui qui a porté cette nouvelle activité sur les fonts baptismaux. Et quelle valeur ajoute-t-on à la marque grâce à cette mixture indigeste ?

« Oui à l’ouverture sur le monde… »

À ce stade de mon récit, j’entends déjà les réflexions les plus désabusées venir à mes oreilles : « Encore un illuminé qui souhaite partir en croisade pour défendre le français des invasions barbares ». Eh bien non ou pas tout à fait… Je possède mon certificat d’anglophile assidu, inconditionnel de la spirituelle Albion et d’autre part, mon seul voyage au long court, je l’ai effectué à New York, c’est vous dire… Même si – comme bon nombre de mes compatriotes – je maîtrise très mal la langue de Shakespeare, je l’apprécie au plus haut point ! Dans sa version originale of course. Et quand je regarde un film d’Élia Kazan, de Woody Allen ou de Stephen Frears, je savoure mon plaisir également en version originale, s’il vous plaît ! Tous ces efforts évidemment déployés afin de pouvoir apprécier pleinement la musicalité si particulière de cet idiome. Tenez encore… Pour vous montrer toute l’affection que je porte à nos voisins d’outre-Manche et à nos amis américains, je serais même prêt à ingurgiter un Fish and Chips ou un pancake made in Connecticut même si c’est au prix d’un enthousiasme un peu surjoué je dois bien l’avouer.

« Oui à la sagesse inspirée du Québec… »

Non, non, non, je ne suis ni un illuminé ni un xénophobe réactionnaire, mais j’avoue que j’en ai un peu marre de l’approximation, de l’imprécision, des faux-semblants nés de la fâcheuse habitude qui consiste le plus souvent à déshabiller Pierre pour tenter vainement d’habiller Paul quand on s’essaie au « franglais ». Un exemple ? Pour nommer la télévision de rattrapage chère à nos cousins québécois, nous inventons sans vergogne le « replay » étymologiquement surgi de nulle part et n’ayant aucune légitimité dans les deux langues puisqu’en Grande-Bretagne ce service a été baptisé « catch-up ». Un autre exemple ? Une institution régionale tout ce qu’il y a plus sérieuse qui a la bonne idée d’appeler un programme de retour à l’emploi Rework ! Bon… soyons objectifs, Rework c’est court et en apparence ça sonne peut-être mieux que « Retour à l’emploi » ou que « Retravailler » sauf qu’il n’est pas vraiment certain, qu’à travers cette dénomination, tout le public concerné saisisse de quoi il retourne. En termes de communication, le parti pris reste hasardeux. Et puis, j’ose le dire, quitte à passer pour un gros ringard, la langue de Molière possède tellement de richesses qu’avec un petit effort d’imagination, on pouvait certainement trouver mieux. En gros, en faisant appel au franglais plus que de raison, j’ai l’impression que l’on assiste au braquage d’une banque dont nous sommes toutes et tous les propriétaires, ayant nous-mêmes ouvert les portes à un agresseur invisible.

Mamie Guesdon appréciera…

« Non au tsunami lexical »

Hélas dans le monde de la communication auquel j’appartiens, on semble adorer les voleurs et n’apprécier que modérément les ressources et les subtilités du français dans le texte. À ce propos, certains esprits chagrins partent en guerre avec une virulence que j’ai du mal à comprendre contre les dangers supposés de l’écriture inclusive. Ils feraient bien de s’immerger quotidiennement dans la presse pour apprécier le spectacle qui s’offre à eux. Qu’ils nous expliquent pourquoi introduire l’équité dans la langue constitue un crime de lèse-majesté quand l’emploi presque systématique de l’anglais dans les publicités relèverait du bien-fondé ! Un autre exemple pour la route ? « For All Your Lives », claironne une affiche présentant la Renault Captur sous son meilleur jour. À noter par souci d’objectivité que le constructeur au losange a pris bien soin d’effectuer un renvoi vers la traduction de cette si belle promesse : « Pour toutes vos vies ». Quand on sait que ses voitures ne sont même pas présentes sur le marché américain, on a presque envie de sourire.
D’autre part, les publicitaires ont-ils conscience qu’au fin fond de la France, bon nombre des individus constituant la cible de la Renault Captur, vont probablement rester de marbre en lisant cette envolée lyrique ? Eux qui vont essentiellement l’utiliser pour les escapades de fin de semaine à l’hypermarché, rendre visite à Mamie Guesdon de Vesoul ou rejoindre la côte aux beaux jours. Voilà un exercice de style censé offrir un supplément d’âme et de crédibilité au véhicule qui pourrait ne constituer qu’un coup d’épée dans l’eau.

Das Auto, un point c’est tout.
À l’inverse, prenez Volkswagen et son célèbre Das auto martelé très longtemps dans la langue de Goethe sur l’ensemble des supports publicitaires. Pas besoin de recourir à des artifices inutiles et d’en appeler à l’anglais quand votre produit jouit d’une confiance à toute épreuve. Et si la marque d’outre-Rhin a fini par laisser de côté cette signature suite au Diesel Gate, c’est toujours une voix aux accents germaniques prononcés qui conclut l’ensemble de ses messages publicitaires. La fiabilité allemande n’est pas un mythe et reste un argument porteur capable de convaincre les acheteurs d’automobiles. Croyez-moi – et je l’ai parfois appris à mes dépens – plus on est vrai, plus on est authentique, plus on gagne en efficacité et en crédibilité.

La fiabilité allemande en version originale.

« Oui le français ne compte pas pour du beurre »

Au début de mon déchirant plaidoyer, je vous ai précisé que j’avais eu la chance et le plaisir de me rendre à New York. À mon grand étonnement, j’ai pu constater que les enseignes françaises y étaient particulièrement présentes. Sur la Cinquième Avenue et ailleurs, la plupart d’entre elles prennent soin de bien mettre en avant les spécificités et les clichés souvent flatteurs liés à l’Hexagone afin d’attirer les consommateurs new-yorkais et les touristes du monde entier. Ici le français fleure bon l’élégance et l’excellence. Contredisant également au passage une idée reçue qui perdure encore : « Les Français ne savent pas s’exporter ». À l’intérieur de l’une des premières boutiques dans laquelle je me suis rendu – une magnifique épicerie fine à la dimension gargantuesque en rapport avec le gigantisme de la ville – j’ai souri en découvrant une plaquette de beurre d’Échiré identique à celles des rayons français. Sans adopter aucun des codes du commerce à l’américaine, ce produit d’excellence servi jusque sur les tables du palais de l’Élysée, fleuron du beau département des Deux-Sèvres, semble séduire les autochtones grâce à ses qualités intrinsèques. Et son bon goût du terroir.
Quand nous mettons tout en œuvre pour marcher dans les pas des Anglo-saxons, ces derniers paraissent nous apprécier pour notre différence, nos savoir-faire et ce qui fonde encore (mais pour combien de temps?) notre savoir-vivre. Ma question : les ressorts de la communication actuelle ne reposeraient-ils pas sur un énorme quiproquo ? Quand Lancôme baptise une de ses fragrances La vie est belle – consciente de séduire le monde entier en convoquant les images positives liées à la France – pourquoi dans le même temps la marque se croit-elle obligée de choisir Hapiness is here comme accroche d’une campagne diffusée dans notre pays ? Ici, les esprits les plus cartésiens et les plus objectifs ne manqueront pas de constater que nous marchons sur la tête.

Contaminés par le variant franglais dès le plus jeune âge.

« Non à la soupe à la franglaise »

Moi la tête à l’envers ? Il a suffi que je me rende sur la page d’accueil de mon propre site internet pour comprendre que même si j’ai voulu flatter mon égo en jouant les redresseurs de torts, à ma grande honte, je suis moi-même victime de ce tropisme consistant à relever mes textes et mes compétences grâce à des épices récoltées sur les bords de la Tamise ou dans la Silicon Valley. Et une pincée de rédacteur web par ci, et deux mesures de coaching rédactionnel par là, ajoutez trois cuillerées de rédaction SEO (entendez par là Search Engine Optimization) et une dose généreuse de naming bien frais afin de confectionner la recette idéale qui va définitivement asseoir ma crédibilité et surtout séduire (enfin j’espère) clients et annonceurs.

Parier sur le rare et cher
Que voulez-vous ? Utiliser le vocabulaire en odeur de sainteté partout où l’on gagne, partout où l’on brille, partout où l’on se dépasse, ce n’est pas un crime. Et d’ailleurs le plus souvent ça paye ! Pour ma part, c’est promis, c’est juré… Dès que je mets le client du siècle dans ma poche, j’abandonne cette bouillie franglaise pour des intitulés plus nobles, mais qui vont me faire perdre des places si précieuses dans les moteurs de recherche. En revanche, à l’inverse de mes collègues adeptes du Dieu Google, j’afficherai ma satisfaction d’appartenir à la confrérie des rédacteurs internet, spécialiste de l’accompagnement rédactionnel, du référencement naturel, de la création de nom… Et après tout il est permis de rêver : comme ce qui est rare est convoité, je finirais – qui sait – par sortir du lot. Comme le bon beurre d’Échiré.

Il n’y a pas de mot franglais pour dire l’excellence.

Bonne nouvelle : le français bientôt à la troisième place des langues les plus parlées dans le monde…

  • 300 millions* de personnes sur les cinq continents parlent notre langue,
  • entre 2014 et 2018 elle a gagné chaque année 10 %* de locuteurs nouveaux,
  • À l’horizon 2050, elle pourrait en compter entre 477 à 747 millions* dont plus de 70 %* seront africains devenant ainsi la troisième langue la plus parlée au monde.

Les Québécois particulièrement créatifs quand ils défendent le français ! Pour eux :

  • un chat est un clavardage (créé à partir de clavier et de bavardage),
  • un hot-dog est un chien-chaud,
  • un hamburger, un hambourgeois,
  • quand nous nous adonnons au shopping, ils magasinent

Les sites internet utiles pour tourner le dos au franglais :

Voltaire et Rousseau doivent se retourner dans leur tombe.