Brigitte Prévost-Meslet, infirmière puéricultrice et militante de l’enfance épanouie.

Madame la présidente de l’Association Nationale des Puériculteur.rice.s et des Étudiants sait sourire à la vie.

Est-ce une résultante de son propre vécu ? Brigitte Prévost-Meslet, présidente de l’Association Nationale des Puériculteur.rice.s et des Étudiants, semble avoir l’enfance chevillée au cœur. Mieux que quiconque, elle sait l’importance des premières années dans la vie de chacun d’entre nous. Femme d’énergie et de conviction, elle a très tôt joint le geste à la parole quand il s’agit de soigner et de défendre les enfants. De son engagement passé à Médecins Sans Frontières, elle a tiré une précieuse expérience, ciment de toutes ses convictions et de sa légitimité quand elle prend la parole au nom de l’ANPDE. Si de l’Afrique à l’Asie en passant par la France profonde, elle s’est toujours dépensée sans compter pour servir sa noble cause, jouer du piano lui permet de se ressourcer et de se composer un quotidien tout en équilibre. Rencontre.

Parlez-nous de vous et du parcours qui vous a mené à la présidence de l’ANPDE ?
Je suis infirmière depuis l’âge de 20 ans. Et j’ai effectué mes études de puéricultrice à l’Institut de puériculture du boulevard Brune. Parallèlement, j’exerçais dans une PMI1 à Saint-Denis. Mon parcours ? À Paris, je travaillais dans un service de neurochirurgie quand une stagiaire m’a incitée à la suivre à une réunion de Médecins Sans Frontières. Et j’ai immédiatement été enthousiasmée. J’ai notamment apprécié la dimension apolitique de l’organisation. Et son côté laïc faisait aussi souffler un vent de liberté très précieux à l’époque. Ses ambitions résolument humanistes m’ont tout de suite motivée ! Sur le terrain, à travers le monde, on mettait tout en œuvre pour améliorer la santé de celles et ceux qui se trouvaient dans des situations de fragilité. Et hélas ! ces situations n’ont jamais manqué. Les guerres, les catastrophes naturelles, les populations déplacées entre autres… Mais je dois dire que d’un point de vue personnel, ces années d’apprentissage et d’implication au sein de MSF ont été véritablement extraordinaires ! Les notions de hiérarchie étaient assez gommées, on vivait tous ensemble et on côtoyait des personnes que l’on n’aurait peut-être pas eu la chance de rencontrer dans le cadre d’une trajectoire plus classique. Nous travaillions dans des contextes parfois très compliqués : ce qui nous obligeait à faire preuve d’humilité, à prendre en compte des intervenants aux tempéraments différents du nôtre… Nous étions amenés à partager nos pratiques professionnelles avec d’autres. Les équipes belges, en particulier, privilégiaient une approche globale des patients et à l’époque, c’était assez novateur.

J’ai effectué ma première mission à Port-Soudan. Là, il nous a fallu construire des dispensaires de nos propres mains ! On formait aussi des « locaux » au métier d’infirmier. e Comme la tuberculose faisait des ravages, on mettait en place le dépistage et bien entendu, on traitait les malades. On a également initié un travail de fond sur la malnutrition. Tout ça en un an. À noter que moi et les autres, nous n’étions pas salariés. Seulement indemnisés. Mais la passion qui nous animait nous aurait fait déplacer des montagnes ! Pour l’anecdote, le jour de notre départ, à la fin de la mission, nous avons laissé la place à un certain Jean-Christophe Rufin qui allait beaucoup faire parler de lui par la suite. Tant par son engagement dans MSF que par ses succès littéraires.

Sur ma lancée, je suis ensuite partie en Thaïlande dans un camp qui accueillait des Cambodgiens fuyant en masse le régime de Pol Pot. 120 000 personnes étaient entassées là. Comme au Soudan, on a toutes et tous retroussés nos manches et on a bâti un dispensaire dédié aux enfants. Un centre de PMI1 dirait-on aujourd’hui. Infirmières et infirmiers, médecins obstétriciens, sages-femmes… On se tenait les coudes face à des situations parfois très violentes. Les femmes enceintes du nord du camp avaient un mal fou à accéder à notre unité. Elles étaient souvent violentées et malmenées par certains militaires thaïlandais censés les protéger. Encore une fois, on s’est résolu à construire une maternité à l’autre extrémité du camp ! Moi, je m’y occupais plus particulièrement des enfants à la naissance. Je participais aussi aux actions de formation destinées au personnel local. Force de proposition comme beaucoup d’autres, j’ai contribué à instituer des visites prénatales afin de dépister les problèmes qui pouvaient engendrer des grossesses à risque. Ma mission a duré 1 an et puis je suis rentrée en France. J’ai intégré l’hôpital Port-Royal où il a fallu renouer avec un cadre de travail beaucoup plus rigide et hiérarchisé… Là, j’ai pu constater que dans le cadre des études d’infirmières le volet réservé à la pédiatrie était très insuffisant pour prendre en charge et accompagner le développement des petits. En revanche, mon engagement dans MSF m’a permis d’acquérir ou de perfectionner des savoirs spécifiques grâce à ma grande proximité avec les enfants durant toute cette période. Période qui fait bien sûr également écho à mes engagements actuels.

Brigitte Prévost-Meslet, l’Afrique au coeur.

Après Médecins Sans Frontières, la vie a fini par vous ramener sur le continent africain…
Parallèlement à mon travail, pendant deux ans j’ai représenté les infirmier.ère.s puériculteur.ice.s au bureau exécutif de MSF. Ensuite, je me suis mariée. Pour suivre mon mari, médecin dans le cadre de la Coopération française, j’ai donc refait mes valises et j’ai retrouvé l’Afrique pour 12 années durant lesquelles j’ai multiplié les missions les plus enrichissantes et formatrices dans le cadre d’actions de bénévolat le plus souvent.

Au Niger, nous vivions dans la brousse et j’ai participé à une étude au sujet de l’impact du développement des villes sur la santé des enfants. En partant du postulat que pour obtenir un état des lieux de la santé d’un groupe, on polarise son attention et les examens sur les petits de 0 à 7 ans, reflet de l’état de santé du reste de la population. Durant cette période, j’ai pu côtoyer des ethnologues, des anthropologues, des géographes, des démographes entre autres et je dois dire que c’était passionnant ! En plus, certains aspects de l’étude rentraient en résonance avec mon travail en PMI1. L’isolement des femmes, la mortalité infantile et ses causes, le sevrage… D’ailleurs, sur mon initiative, en croisant l’ensemble des données récoltées, on a pu constater – s’il en était besoin – que la période du sevrage constitue une étape particulièrement sensible de la vie des enfants.

Toujours au Niger (à Zinder plus précisément), mais plus tard, j’ai pu travailler dans une école maternelle et intervenir dans une école d’infirmières qui hélas ! ne prenait pas en compte la pédiatrie. En résumé, un enfant était pris en charge comme un adulte ! Tout était à mettre en place, mais j’ai l’habitude… Formation pédagogique, cours de pédiatrie, étude détaillée du développement des enfants, liste du matériel spécifique à utiliser quand on les soigne, création de stages… Autant dire une petite « révolution » menée avec l’aide de l’Institut de puériculture du boulevard Brune avec lequel j’avais gardé des liens étroits.

Entre nos deux séjours au Niger, il y avait eu le Tchad durant lequel j’ai préparé un DU de Santé publique faute de pouvoir m’investir localement à cause de la situation politique, très instable déjà à l’époque.

En revanche, au Bénin, j’ai vécu plusieurs expériences qui m’ont apporté beaucoup sur le plan professionnel notamment. Aide et Action, association qui s’investit entre autres dans le parrainage d’enfants pour la scolarisation, m’avait demandé d’effectuer un « état des lieux » de la santé des enfants de 0 à 7 ans de plusieurs villages dans le cadre d’un projet plus global. Villages où sévissaient maladies de la peau, gastro-entérites, malnutrition, infections dues aux teignes, etc. J’avais donc pour mission de former les responsables du centre de santé et de sensibiliser les enfants à partir de 3 ans au sujet de la prise en compte de leur santé. Nos messages étaient simples et précis : « Veillez à vous laver les mains souvent, coupez-vous les ongles, allez aux toilettes là où on vous l’indique, mangez dans des endroits propres… » Et que s’est-il passé au bout de six mois ? La situation sanitaire s’est améliorée dans des proportions très significatives. Non seulement ces enfants avaient tenu compte de nos recommandations, mais ils avaient incité leurs parents à en faire de même ! Au Bénin toujours, j’ai pu également m’intéresser à la santé des adolescents, à l’impact de leur croissance sur leur vie quotidienne, à leur psychologie, aux enjeux des rapports qu’ils entretiennent avec leurs parents, avec leurs ami.e.s… J’ai pu aussi mener des actions d’information sur le SIDA, sur les MST en général et sur la contraception. Tout cela dans un pays où règnent encore de nombreux tabous, mais au final les parents béninois m’ont manifesté leur reconnaissance.

Ensuite vous quittez à nouveau l’Afrique pour revenir en France…
Le retour a été un peu compliqué. On ne vit pas dans le Maine-et-Loire comme on vit dans la brousse ! Au départ, j’ai pris un poste d’infirmière puéricultrice une fois de plus en PMI1 et en milieu rural. Ensuite, j’ai exercé en milieu urbain dans un environnement relativement précarisé avec des adultes subissant des addictions ayant des conséquences sur leurs comportements vis-à-vis des enfants. Le tout conduisant souvent à de la maltraitance… Puis on m’a proposé des postes à dimension plus technique. Actuellement, je suis notamment chargée de délivrer les agréments concernant les assistants familiaux. J’effectue aussi des visites de conformité d’établissements de protection de l’enfance. Durant la pandémie de la Covid, j’ai été particulièrement active auprès des assistants familiaux et des MECS2.

Au tout début, quelles sont les raisons qui vous ont conduit à adhérer à l’ANPDE ?
Créée en 1949, c’est la première association qui nous a défendus et qui défendait aussi au départ les assistantes sociales. Il faut savoir qu’après-guerre, notre profession se trouvait en première ligne vu la conjoncture. Il y avait une forte mortalité infantile liée notamment au manque de nourriture, à la précarité du quotidien de nombreuses femmes qui se retrouvaient seules, au manque de médicaments, etc. Il faut préciser que la fonction était figée dans une tradition assez pesante. Ensuite, les choses ont évolué petit à petit avec en plus une prise en compte toujours plus importante de l’enfant. Il faut quand même savoir qu’en 1976, on voyait encore des infirmières puéricultrices porter des voiles !

Dites-le toujours avec le sourire, la signature de Brigitte Prévost-Meslet

L’association aujourd’hui ?
Nous mettons tout en œuvre pour faire connaître notre rôle au service de l’enfance et du « bien-vivre » dans la société. Parallèlement, nous menons aussi un travail incessant afin de valoriser le diplôme d’infirmier.ère. puériculteur. rice. Et auprès des autorités, ce n’est pas gagné ! Notre défi : faire évoluer cette formation au regard des évolutions générées par les évolutions sociétales. Tout le monde peut constater que la notion de famille a considérablement évolué. Entraînant de nouveaux besoins pour les enfants en particulier. En tant que professionnels de la santé, nous souhaitons apporter des réponses efficaces. Grâce à la légitimité de l’ANPDE, nous travaillons sur le long terme mais hélas ! les institutions et les politiques (nos interlocuteurs privilégiés) s’inscrivent souvent dans le court terme. Ce qui complique le dialogue et peut réduire la pertinence des réponses apportées… Prenons l’exemple de la grossesse et de l’accouchement en particulier. Avant, le séjour en maternité durait de 8 à 10 jours. Désormais, il est réduit à 3. Cet état de fait a forcément des conséquences que l’inertie administrative assimile plus ou moins rapidement. Si par exemple un bébé ne prend pas de poids, s’il se produit des complications quand une femme allaite, si cette mère est mineure ou isolée pour des raisons X ou Y… Notre rôle prend tout son sens pour traiter ces problèmes et accompagner les mamans. Pour peu que nous ayons affaire à des oreilles attentives du côté des autorités responsables.

Autre exemple : on prône désormais la mobilité mais celle-ci malmène parfois les réseaux d’entraide familiale. Difficile de compter sur l’appui de ses proches quand les enfants sont malades lorsque votre famille habite à l’autre bout de la France. Là encore, notre intervention prend tout son sens dans le cadre d’un accompagnement santé qui sait prendre en compte l’ensemble des données des problèmes rencontrés par celles et ceux qui font appel à nous.

Que montrent ces exemples choisis parmi tant d’autres ? Que le périmètre de légitimité et d’intervention des infirmier.ère.s puériculteur.rice.s s’est considérablement élargi. Sachant que depuis 2009, les infirmières n’ont plus aucune formation en pédiatrie alors que les gestes techniques pour soigner les enfants sont bien spécifiques et demandent des compétences qui ne relèvent pas de la science infuse ! On ne soigne pas un enfant comme on soigne un adulte… D’un point de vue de la psychologie, on ne l’aborde pas de la même manière non plus. Les doses à prescrire ne sont pas les mêmes. Idem pour le suivi de traitement, des réactions médicamenteuses… Une erreur médicamenteuse sur un enfant peut provoquer des conséquences particulièrement fâcheuses. Poser un cathéter dans la veine d’un petit requiert une approche bien spécifique. Je le répète : la santé a tout à gagner à faire appel aux spécialistes en pédiatrie que nous sommes. Sachant que l’on constate une raréfaction des pédiatres sur tout le territoire.

En 2022, quelles sont les priorités de l’ANPDE ?
Poursuivre le dialogue avec les institutions et les autorités compétentes qui semblent un peu plus à l’écoute. Notamment le ministère de la Santé, l’IGOS3, la DGCS4… Si le calendrier électoral n’apporte pas de changements majeurs, nous sommes en passe d’obtenir la revalorisation de notre diplôme en Master avec universitérisation des études impliquant une plus grande reconnaissance et un développement des compétences. À noter que le corps médical dans son ensemble, les médecins, les néonatologistes, les pédiatres entre autres appellent de leurs souhaits cette revalorisation. Olivier Veran, alors ministre de la Santé, a même demandé que l’on puisse exercer sous le statut libéral. Nous pourrons ainsi offrir un service de proximité médical qui aurait notamment pour effet de mieux maîtriser les flux vers les services d’urgences hospitalières et d’alléger la charge de travail des médecins. Pourquoi ? Les professionnels de la puériculture que nous sommes, en abordant l’enfant dans toute sa dimension holistique, peuvent rassurer et orienter les parents vers la solution la plus pertinente aux regards des besoins repérés. Besoins ne nécessitant en définitive pas toujours de consultation ni d’admission à l’hôpital.

Autre exemple de l’importance de notre rôle au sein de la société : durant la crise de la Covid, notre profession s’est trouvée en première ligne et cela n’a peut-être pas été assez dit et valorisé. Dans les crèches, dans les maisons d’enfants à caractère social, auprès des assistants familiaux notamment, notre investissement et nos actions de prévention, d’information se sont révélés essentiels.

Sur beaucoup de points, la France pourrait prendre exemple sur des pays comme la Suède et la Finlande qui savent reconnaître notre profession à sa juste valeur. On le sait, leur taux de mortalité infantile figure parmi les plus bas au monde. Nous ? Il y a quelques années, nous nous placions au 7rang mondial, désormais nous occupons la 25place derrière la Pologne… Et ce n’est pas un hasard si en Suède en particulier, pour le suivi des enfants sains de 0 à 5 ans, on fait appel aux infirmier.ère.s puériculteur.rice.s. Dès qu’un problème médical – quel qu’il soit – est repéré par nos soins, l’enfant est dirigé vers un intervenant médical compétent. La prise en charge et le traitement des pathologies sont d’autant plus efficaces.

À la tête de l’ANPDE, quelles sont les principales motivations de votre action au quotidien ?
Nous voulons avant tout défendre les enfants ! Défendre leurs droits en général. En obtenant entre autres que leurs soins soient pris en charge par des professionnels dûment formés. Oui les enfants ont des droits ! Celui d’être protégés, de bénéficier d’une prise en charge adaptée, d’obtenir la satisfaction de leurs besoins primaires, le droit de s’épanouir et de se développer le plus harmonieusement possible.

Sans parler des enfants migrants qui vivent souvent dans une précarité révoltante, l’ensemble des enfants de notre pays ne jouit pas des droits fondamentaux que je viens de citer. Tant s’en faut ! Pour mille raisons, les parents démissionnaires ou malveillants sont de plus en plus nombreux. Vivre dans un foyer « normal » ne constitue pas toujours un gage de sécurité absolue pour les petits. Quant aux établissements spécialisés, à l’image des problèmes rencontrés dans les EHPAD, la prise en charge des enfants pose parfois problème. Là encore, il y a mille causes que l’on pourrait évoquer. La pénurie du personnel souvent mal payé n’étant pas la dernière…

Face à toutes ces problématiques parfois très complexes, l’ANPDE souhaite plus que jamais figurer parmi les partenaires sociaux responsables, forte d’une démarche constructive face aux institutions. Comme je l’ai dit clairement, l’association étant d’abord et avant tout animée par la volonté de défendre farouchement les droits fondamentaux des enfants à être soignés comme il se doit et à s’épanouir dans les meilleures conditions. Quelles que soient leurs origines et leur condition sociale.

Le site de l’ANPDE ICI

1 Protection Maternelle et Infantile.
2 Maison d’enfants à caractère sociale.
3 Inspection Générale des affaires sociales.
4 Direction Générale de la Cohésion Sociale.